Les trente glorieuses de la Médecine Lyonnaise
Lorsqu’en 2002, lors des cérémonies organisées par les Hospices Civils de Lyon en l’honneur du bicentenaire de l’établissement, la plupart des grands projets de restructuration étaient en place. Seul, le sort du vieil Hôtel-Dieu magnifiquement édifié sur la rive du Rhône, n’était pas
La population lyonnaise commençait à se poser des questions et à montrer son intérêt pour le plus beau bâtiment de leur ville. René Mornex, alors vice-président du Conseil d’Administration des Hospices Civils de Lyon, se sentit investi d’une tâche de défenseur de ce qui apparaissait comme symbolique de la médecine lyonnaise. Ainsi, fut créée une association de défense de la mémoire de tous ceux qui avaient œuvré dans ce but. Elle en fut le centre actif s’adaptant au jour le jour aux choix politiques successifs qui étaient faits.
Pour marquer le début de ce combat, en 2015, une exposition fut préparée. Son titre « LES TRENTE GLORIEUSES DE LA MEDECINE LYONNAISE » nous a paru symboliser la rapidité particulièrement brillante avec laquelle fut développée à Lyon une nouvelle Ecole française de Médecine. D’où son titre.
Parmi les grands anciens, nous pensons tout d’abord à François RABELAIS
Elève de la faculté de médecine de Montpellier, il fut le troisième médecin de l’Hôtel-Dieu en 1552. Il a laissé son empreinte dans l’atmosphère du « bâtiment qui présente au bord du Rhône une façade majestueuse qui frappe les voyageurs qui découvrent la ville ». Le titre de chirurgien major, délivré après un concours, fut inauguré à l’Hôtel-Dieu en 1798. Et le principe général de cette sélection a perduré jusqu’en 1970.
Marc-Antoine PETIT fut le premier qui réussit ce concours lyonnais de Majorat
Sa vie hospitalière a donné un exemple parfait de ce que sera la tradition des chirurgiens majors et de leurs successeurs (l’activité chirurgicale l’emportait en ces temps-là). A 24 ans, il prit la tête de 400 lits d’hospitalisation. Il fut un modèle de travail en donnant à l’anatomie sa place basique pour tout opérateur. Il créa un musée de dissection. Lui-même défendait aussi le rôle de l’enseignement clinique. Il attirait l’attention de tous sur le respect et l’atténuation, si possible, de la souffrance des patients.
L’organisation architecturale
Plus important est l’organisation architecturale de ces bâtiments comportant des dômes, véritables « aspirateurs de miasmes » réduisant les risques d’infection. Soulignons immédiatement qu’inlassablement les édiles de la cité ont voulu agrandir et améliorer les bâtiments hospitaliers mais il est clair qu’au milieu de tout ceci, la silhouette de l’Hôtel-Dieu restait et restera une image symbolique. C’est le public lyonnais qui, par ses dons très généreux, permettra le développement complémentaire de l’hôpital de la Charité, spécialisé dans la pédiatrie et de l’Antiquaille pour la vénérologie. Ce tissu hospitalier bénéficia en 1802 d’une structuration administrative, les Hospices Civils de Lyon, qui sera copiée par la plupart des villes en France.
Le personnel soignant
Autre élément de succès, un personnel soignant paramédical d’un infini dévouement.
Les religieuses hospitalières, notamment à partir du 21 décembre 1865, lorsque deux soignantes de l’Hôtel-Dieu, Jeanne DUCINE et Laurence MOINE, demandèrent aux recteurs de l’établissement de bien vouloir les agréer « pour soigner les femmes, le reste de leurs jours, sans intérêt ni récompense que celle qui plaira à Dieu de leur donner ».
L’arsenal thérapeutique
Lors de toutes ces années, l’arsenal thérapeutique est d’une faiblesse considérable mais chaque avancée est immédiatement appliquée à Lyon, comme par exemple l’usage de l’anesthésie et le concept d’asepsie soutenue à fond par Antonin PONCET.
Il est évident que les résultats chirurgicaux (mortalité 3 fois plus forte à Paris qu’à Lyon) sont spectaculaires. Même isolés, ils font la réputation d’un homme comme Joseph GENSOUL avec l’ablation d’une tumeur du maxillaire supérieur.
ou l’anesthésie (Antoine BOUCHACOURT, Joseph PETREQUIN) pour permettre des interventions plus longues. Ces résultats thérapeutiques sont joints à une organisation pédagogique concrétisée par la création d’une Ecole Secondaire de Médecine, puis d’une Ecole Préparatoire de Médecine et de Pharmacie (1792 à 1877), mais ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que la bataille décisive permet la création de la Faculté de Médecine et de Pharmacie en 1875 dont la délimitation administrative mit encore deux ans pour être complète.
C’est à ce moment, seulement, que commence la période des Trente Glorieuses. Il est nécessaire de parler de trois personnages qui ont disposé chacun d’arguments importants pour convaincre les autorités politiques de créer une faculté.
Nous fixons à Décembre 1879 la séance solennelle du début de la faculté qui comportait alors 21 chaires, presque toutes à l’Hôtel-Dieu pour accueillir 55 étudiants, nombre qui grossira rapidement, notamment avec l’installation à Lyon de l’Ecole de Santé Militaire. Ce sont les trente années suivantes qui virent la réalisation d’un travail multidisciplinaire jouant sur tous les registres, qualité de soins, enseignement et mise en route d’une recherche méritant bien le qualitatif de glorieux avec l’attribution du Prix Nobel en 1912 à Alexis CARREL, interne de Lyon en 1896, C’était la première attribution aux USA mais les commentaires marquèrent bien le rôle de Lyon : « les procédés que vous avez mis en œuvre dans toutes ces interventions complexes et merveilleuses sont remarquables par leur justesse et leur simplicité, alliance de cette intelligence claire et brillante, patrimoine reçu de votre pays, la France, aux valeurs de laquelle l’humanité doit tant, et de l’énergie, audacieuse et déterminée, de votre pays d’adoption. ».
Trois personnages importants
Louis LORTET
Botaniste, capable d’enseigner, d’organiser, en tant que Doyen, les cadres de la faculté, mais aussi d’exercer des campagnes de paléontologie en Egypte. Il plaida à Paris avec une opiniâtreté peu commune pour l’érection à Lyon d’une faculté de plein exercice.
Antoine GAILLETON
dermatologue, devenu Maire de Lyon, intervint peu après dans la longue bataille qui vit Lyon accueillir, à la suite du désastre de 1870, l’Ecole de Santé de Strasbourg et réussit à dégager trois millions de francs or pour accueillir les promotions dans un bâtiment neuf.
Antonin PONCET
Professeur de clinique chirurgicale à l’Hôtel-Dieu pendant 21 ans, juge incontesté du recrutement des chirurgiens pendant un quart de siècle. Surtout, il imposa à l’Hôtel-Dieu la construction d’une salle d’opération entièrement conçue autour du concept asepsie et marqua pour les années suivantes les grandes lignes stratégiques chirurgicales (appendicectomie).
Dans le recrutement des Professeurs
Louis LORTET pouvait puiser dans les chargés de cours des Ecoles Secondaires, et dans le groupe des chirurgiens majors. Très peu en mutation sauf de Paris. En plus, il s’ouvrit aux propositions d’élèves de Claude BERNARD, leader mondial de la physiologie médicale, qui avait compris l’intérêt d’investir dans la nouvelle Faculté. Ce sont ses élèves qui jetèrent les bases de l’enseignement de la médecine expérimentale avec Raymond TRIPIER et Louis-Joseph RENAUT.
Il est très singulier de constater que là encore le hasard fait que l’esprit de la médecine expérimentale animait Léopold OLLIER qui, sans l’élégance symbolique de Claude BERNARD, faisait déjà sur les malades de sa clinique chirurgicale de l’Hôtel-Dieu, l’application éblouissante de la règle du maître : observer les malades, émettre une hypothèse, contrôler sur l’animal, tirer des conclusions thérapeutiques et les appliquer à ses malades (résection sous périostée).
Nous citerons, comme une exception admirable, Etienne DESTOT qui d’installa dans les locaux du rez de chaussée le premier laboratoire de radiologie au monde, trois semaines après la découverte des rayons X par ROENTGEN. Ce fut l’action chirurgicale d’Etienne DESTOT prolongée par de très nombreuses publications relatant le succès de ses techniques.
C’est encore grâce à Louis LORTET que Victor DESPEIGNES, en juillet 1896, irradia un malade porteur d’une tumeur douloureuse dans la région épigastrique et pour la première fois au monde vit régresser la tumeur, au moins temporairement. La radiothérapie était née.
Tout ceci, en fait, se retrouva en 1914 quand il s’agit de prendre en charge les blessés de la grande guerre.
Il faut donner un terme à cette période et envisager le succès mondial de l’Hôtel-Dieu et de la Faculté de Lyon à travers un duo. D’abord, Mathieu JABOULAY, chirurgien digestif, agrégé d’anatomie (1886) qui fut le premier à se lancer dans la chirurgie du cholédoque sur lequel il faisait des anastomoses à l’aide de boutons métalliques qui portent son nom. Mais surtout, son innovation thérapeutique géniale fut de greffer sur deux malades mourant d’une insuffisance rénale un rein animal (porc et chèvre). Ce fut un échec bien compréhensible, mais le début des greffes dont Lyon fut un haut lieu d’application (Jules TRAEGER).
C’est à cause d’Alexis CARREL qui était alors interne en chirurgie à l’Hôtel-Dieu que ces sutures vasculaires pouvaient être faites grâce à sa technique de triangulation des vaisseaux C’est cette technique élégante et efficace publié dans le Lyon Médical en 1902, qui lui a valu le Prix Nobel en 1912.
Enfin, Louis LORTET s’adressa à l’Ecole Vétérinaire, à Jean-Baptiste CHAUVEAU pour couvrir l’espace entre la médecine vétérinaire et la médecine humaine. Une difficulté concerna l’accueil de Léo TESTUT, professeur d’anatomie à LILLE, car il n’était pas chirurgien. Et pourtant, tous les futurs chirurgiens de son Ecole furent en même temps des anatomistes, d’où une formation exceptionnelle de futurs opérateurs.
Après avoir vu la naissance de cette Ecole de Médecine fondée à la fois sur des bâtiments adaptés avec du personnel médical de grande qualité, ayant généré un système hiérarchique fondé sur des concours, après avoir compris l’influence majeure des conditions d’hygiène et la responsabilité fondamentale du personnel paramédical, trente ans se sont écoulés en attendant la création d’une faculté plein régime où chaque élément se coordonne avec les autres. Pourquoi arrêter l’analyse en 1912, si ce n’est par l’attribution d’un Prix Nobel de Physiologie dont nous pouvons rappeler que les juges ont considéré que LYON en était digne.
Par la suite, l’Ecole s’amplifiera et rayonnera avec les descendants directs dans chaque discipline formant un éventail d’acteurs :
- anatomique et chirurgical
- de médecine expérimentale
- de transplanteurs d’organes
Sans oublier, que derrière tout cela, la base même de la médecine s’est développée activement dans un esprit d’humanisme. L’humanisme qui s’exprime à travers le souci permanent de transmettre le savoir : traités ou publications : 30 000 pages en trente ans, dont certaines ont encore une considération internationale, fracture de Pouteau, Maladie de Bouveret, traités de Testut.
Nous sommes maintenant à plus d’un siècle de distance et nous pensons de notre devoir de rendre hommage à ceux qui nous ont précédés. C’est pourquoi, dans un esprit de transmission intergénérationnelle, nous avons changé l’intitulé de notre Association pour en élargir et approfondir le sens.
Ainsi est-il devenu Patrimoine Médecine Santé Grand Hôtel-Dieu Lyon et nous lui avons ajouté une perspective fédérative qui s’accorde parfaitement à l’image que nous avons placée en exergue c’est-à-dire l’Hôtel-Dieu en majesté qui a fécondé le territoire médical environnemental. Tous les acteurs dont nous parlons ont subi le contrôle terminal de leurs examens de clinique dans les chaires de l’Hôtel-Dieu, (pour l’immense majorité). Le mot fédératif couvre non seulement les institutions mais la diversité de la puissance du travail des groupes. Pensons à l’ouverture de la médecine sur les aspects sociaux et industriels. L’exemple de Charles MERIEUX est dominant avec Bioforce qui touche la santé internationale (la vaccinologie). On pense aussi à l’industrie de la physique médicale qui part de l’aspect purement technique pour déboucher sur des acquis thérapeutiques, le CERMEP (Centre d’Etude et de Recherche médicale sur les positons). Sans oublier les grands mouvements dans les disciplines nouvelles, le Téléthon qui deviendra par la suite le Généthon dont la première campagne a démarré Place Bellecour. A chaque moment, à chaque changement d’orientation, il y a un des héritiers des Trente Glorieuses. Ainsi, en va-t-il de Philippe MOURET et la cholécystectomie par endoscopie et Jean Michel DUBERNARD avec la greffe des mains.
Pour ce faire, nous nous rapprocherons de chacun des continuateurs de l’Hôtel-Dieu avec des expositions temporaires pour travailler ensemble et mettre en commun l’héritage. Ce sera un mouvement rassemblant les mémoires de médecine hospitalière issue de l’Hôtel-Dieu de Lyon. Notre Maire Edouard HERRIOT disait « Lyon est calme, assez morne mais il ne semble pas que le public se rende compte de l’importance des faits ».
Ce qui est surprenant c’est la liaison que l’on trouve entre l’analyse fine de l’architecture basique de l’Hôtel-Dieu et sa pérennité au fil des siècles. Didier REPELLIN, architecte en chef des monuments historiques, dit : « L’histoire de ce remarquable site est une suite de défis vis-à-vis de la santé, sans interruption du XII au XXème siècle. Trois ans d’étude ont permis de faire ressortir un trait commun, propre à l’Hôtel-Dieu, à savoir une recherche permanente d’harmonie entre le corps, l’âme et l’esprit. Le Grand Hôtel-Dieu est un édifice inspiré et seuls ces édifices savent transpirer. En retour ils apportent à tout un chacun une vraie émotion et un profond attachement, avec des personnalités de caractère et de grande qualité et des conceptions magistrales ».
N’est-ce pas cela la pertinence si l’on peut donner cette définition aux principes des soins parfaits au moindre coût inaugurés à Lyon en 1975.
Professeur René Mornex, Jean Jacques Perrot